Au Pakistan, d’autres « Asia Bibi » sont dans le couloir de la mort

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Si les lois sur le blasphème ont été révélées au grand public au travers de l’histoire d’Asia Bibi, elle n’en est malheureusement pas la seule victime.

Asia Bibi est devenue en quelques années l’emblème des dérives des lois sur le blasphème au Pakistan. La communauté internationale milite pour sa libération depuis sa condamnation à mort. Aujourd’hui Asia a été acquittée et libérée, même si elle est, selon les dernières informations, toujours au Pakistan. Mais dans les prisons pakistanaises, condamnées par les mêmes lois, une quarantaine d’autres personnes attendent leur tour dans les couloirs de la mort ou purgent leur peine à perpétuité. Des dizaines d’autres sont dans l’attente de leur jugement. France Info dresse leurs portraits.

Accusé pour avoir réclamé son salaire

Pervaiz Masih est le père de 4 enfants, sa femme souffre d’un léger handicap. Selon son beau-frère, son tort a été de réclamer son salaire. Un conflit a éclaté entre Pervaiz et un homme d’affaires musulman : ce dernier a refusé de payer à Pervaiz les 4 chariots de sable qu’il lui devait. Le musulman l’accuse alors d’avoir insulté le prophète. L’avocate de Pervaiz parle de vengeance pour le « conduire à la faillite » :

« Il suffit de dire que vous avez entendu telle personne insulter le prophète… Et si en plus vous demandez à l’un de vos amis de se présenter comme témoin additionnel, c’est plus que suffisant pour condamner votre cible. »

Depuis 2015, il attend son jugement qui sera donné le 21 novembre.

Accusé pour une rivalité commerciale

Asif Stephen est un handicapé mental de 17 ans. Une ONG chrétienne dit de lui qu’ « il n’est pas plus mature qu’un enfant de 6 ans. » Asif récoltait des déchets dans un sanctuaire pour subvenir aux besoins de sa famille quand il a été accusé d’avoir brûlé une page du Coran. Son père maintient qu’il est accusé à tort :

« Il recueille des papiers et des bouteilles usagées et les vend pour soutenir notre famille. Il ramasse également des bouteilles vides dans le sanctuaire, situé à environ deux kilomètres de chez nous. Muhammad Nawaz alias Maju, le témoin à charge, collecte également des papiers et des bouteilles dans le sanctuaire. Il a de la rancune envers mon fils car il ne veut pas qu’il ramasse de la ferraille au sanctuaire, car cela nuit à ses affaires. »

Amnesty International révèle dans un rapport que « les individus avec des déficiences mentales sont particulièrement exposés au risque d’être accusés de blasphème. » L’avocat d’Asif explique qu’il n’est pas en mesure de comprendre ce qui lui arrive :

« Il ne comprend même pas qu’il est en prison, encore moins pourquoi. La seule chose qu’il sait, c’est qu’il est enfermé. [...] Cela a pris près d’un an pour obtenir une expertise médicale attestant de son handicap, car même les médecins ont peur de sembler dédouaner les personnes accusées de blasphème. Alors que ses déficiences sont flagrantes, n’importe qui s’en rendrait compte. « 

Le verdict devrait être rendu mi-novembre.

Accusé alors qu’il vivait dans la rue

Mohammed Ashrh est instable mentalement. Aprés avoir rompu ses fiançailles, il avait quitté le domicile familial et vivait dans la rue. Des policiers l’ont interpellé au bord de l’autoroute et l’ont accusé d’avoir brûlé des pages du Coran. Son avocate raconte :

« J’ai fait une demande d’expertise médicale, mais le juge l’a déclinée. Je suis en train d’élaborer une stratégie pour qu’il soit examiné par un médecin, mais c’est compliqué, les juges craignent des représailles. »

Mais la bataille judiciaire va être dure à mener. Contre Mohammed et son avocate, se dresse un avocat de taille, Ghulam Mustafa Chaudhry, qui avait défendu Mumtaz Qadri, l’assassin du gouverneur du Pendjab. Il offre gratuitement ses services à tous ceux qui accusent quelqu’un de blasphème.

Accusé parce qu’il militait pour le droit des femmes

Junaid Hafeez est musulman. Sur les 1549 personnes accusées de blasphème en 30 ans, 720 sont musulmanes. Junaid est professeur de littérature à l’Université et avait pour habitude d’inviter des militantes des droits des femmes pour discuter avec ses étudiants. Il a été accusé d’avoir tenu des propos blasphématoires pendant une conférence avec une romancière, qui a dû ensuite fuir le pays. Son premier avocat a été assassiné. Il avait dit quelques mois avant sa mort que défendre un homme accusé de blasphème, c’est comme marcher « droit dans les griffes de la mort ». Son avocat actuel parle des répercussions de l’acquittement d’Asia Bibi dans l’affaire de son client.

« Il y a un an, je pensais que l’acquittement était à portée de main. Aujourd’hui, c’est irréaliste, surtout avec la pression des rues qui est monté depuis la libération d’Asia Bibi. [...]Aucun autre juge ne va oser prononcer, de manière si audacieuse, un nouvel acquittement. »

Alors que l’acquittement d’Asia Bibi a déclenché la furie des islamistes radicaux, qu’en sera-t-il de ces dizaines d’hommes, de femmes, d’enfants, qui attendent leur verdict, purgent leur peine à perpétuité ou patientent dans le couloir de la mort ?

La rédaction

Crédit image : Asianet-Pakistan / Shutterstock.com


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